- Introduction
- Contexte
- Vie
- Pensée
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Œuvres
- Le plurilinguisme
- Lulle et la langue catalane
- La diffusion et la conservation
- Le Livre de contemplation
- Le Livre du gentil
- Le Livre de l'ordre de chevalerie
- La Doctrine puérile
- Roman d'Evast et Blaquerne
- Le Livre de l'ami et de l'aimé
- L'Art démonstrative
- Le Livre de merveilles
- Le Livre des bêtes
- Le Desconhort
- L'Arbre de science
- L'Arbre des exemples
- Le Chant de Raymond
- La Nouvelle rhétorique
- La Nouvelle logique
- Le Liber de fine
- L'Ars brevis
- Le Fantastique
- L'Art abrégée de prédication
- Répertoire d'images
- Base de Données / Dictionnaire
Profil de Raymond Llulle
Raymond Lulle (1232-1316) était le fils de colons catalans assez aisés et installés à Majorque après la conquête de l’île par Jacques Ier d’Aragon ; à trente ans, il abandonna la vie de courtisan et de poète-troubadour, sa femme et ses enfants, pour se consacrer à la diffusion de son système de pensée, qu’il appelait l’Art, reçu par illumination divine et conçu pour la conversion rationnelle des infidèles au christianisme. Le projet apostolique et réformateur lullien, d’une très grande ambition intellectuelle, avait des implications politiques, parce qu’il recherchait l’approbation de l’Église et avait besoin du soutien et des monarques occidentaux et des villes marchandes (Gênes ou Pise).
Le Livre de contemplation de Dieu (1273-1274), sa première œuvre, d’énormes dimensions et antérieure à la découverte de l’Art, fut rédigé originellement en arabe et fut traduit ensuite en catalan et en latin. En fait, même si certaines œuvres de Lulle présentent à côté de la version catalane des versions occitanes, italiennes, françaises et castillanes, la plupart d’entre elles offrent un texte latin qui se trouve souvent inclus dans de nombreux manuscrits.
Le premier succès de Lulle fut la fondation à Miramar, en 1276, d’une école de missionnaires franciscains, financée par le roi de Majorque.
La volonté d’introduire l’Art à l’université mena Raymond de Montpellier à Paris (1287-1289), où il se rendit compte que sa proposition se heurtait aux habitudes mentales des professionnels de la scolastique. Par conséquent, il simplifia et adapta l’Art, qui connut diverses étapes. Il convient de souligner l’importance du passage des Arts de la première phase ou Arts quaternaires (1274-1289) aux Arts de la seconde phase ou Arts ternairies (1290-1308).
Depuis différents endroits d’Italie, de la Couronne d’Aragon et de l’Afrique du Nord, ainsi que durant un voyage à Chypre, Lulle continua son travail intellectuel et apostolique, qui en 1311 reçut l’approbation du concile œcuménique de Vienne ; malgré cela, l’auteur finit par se retirer à Tunis, déçu par les princes et les savants chrétiens, et dédié entièrement aux dernières de ses deux cent soixante-cinq œuvres. Lulle mourut octogénaire à Majorque.
Selon la Vita coetanea, une autobiographie dictée en 1311, toute l’activité de Lulle tournait autour de la formulation optimale d’un outil rationnel, capable de ‘démontrer’ la Vérité, c’est-à-dire, le Dieu de la Trinité et de l’Incarnation, qui sauve l’être humain et explique la raison d’être du monde.
La Première phase de l’Art contient l’Ars compendiosa inveniendem veritatem (1274) et l’Art demostrativa (1283). La Seconde phase de l’Art comprend l’Ars inventiva et l’Art amativa (1290), la Taula general (1294), l’Ars generalis ultima(1305-1308) et sa version abrégée l’Ars brevis (1308).
La Première phase de l’Art présente une collection déconcertante de figures (12 ou 16, selon l’œuvre), parmi lesquelles seulement quatre sont tout à fait basiques pour son fonctionnement.
Il y a la Figure A ou de Dieu, avec ses seize attributs ou Dignités, comme les appelle Lulle (bonté, grandeur, éternité, etc.) ; la Figure T, avec cinq groupes de trois principes chacun (différence / concordance / contrariété, commencement / milieu / fin, etc.), qui s’utilise pour comparer d’autres principes (la bonté de Dieu, par exemple, concorde avec sa grandeur) ; la Figure S, avec diverses combinaisons d’actes des trois puissances augustiniennes de l’âme (la mémoire se souvenant ou oubliant, l’entendement comprenant ou ne comprenant pas et la volonté aimant ou n’aimant pas), qui permet d’orienter le sujet chercheur dans sa réception des arguments proposés ; et finalement la Figure X, avec huit groupes de concepts opposés (prédestination / libre arbitre, être / privation, perfection / défaut, etc.), qui sert à résoudre des contradictions apparentes et à présenter les concepts contre lesquels les arguments doivent être testés.
Dans l’Art ternaire, les figures furent réduites à quatre ; surtout dans ce cas, vu que les deux dernières offrent seulement des mécanismes pour la formation des combinaisons binaires ou ternaires des deux premières, la présentation des concepts se limitait, en fait, aux Figures A et T, chacune étant réduite à de nouveaux concepts. Bien que ces concepts proviennent de la première période de l’Art, ils présentent deux différences significatives. D’une part, ils ne s’appellent plus Dignités et la Figure A n’est plus celle de Dieu : les composants des deux figures s’appelleront alors d’une manière plus générique ‘principes’ et ils seront considérés en tant que Dignités seulement lorsqu’ils s’appliqueront à Dieu. D’autre part, il y a une série de définitions basées sur l’ontologie dynamique de Lulle. En conséquence, ces principes ne sont plus simplement ce que le lecteur pense qu’ils sont (comme cela arrivait avec les mécanismes comparatifs antérieurs), mais ce qu’ils font: “Bonté est cette chose en raison de laquelle bon fait bien”, ou “Différence est cette chose par laquelle bonté, grandeur et les autres sont des raisons claires et non confuses”. En plus des composants de ces deux figures, l’Art ternaire ajoute deux autres groupes de concepts qui sont centraux pour son fonctionnement. Le premier, c’est un groupe de dix Règles ou Questions (Si?, Quoi?, De quoi?, Pourquoi? Etc.), qui s’utilisent pour diriger et systématiser toutes les lignes de recherche possibles. Le second, c’est un groupe de nouveaux Sujets (Dieu, Ange, ciel, homme, etc.) qui compose une échelle complète de l’être à laquelle on peut appliquer les techniques de l’Art.
Les deux phases de l’Art furent, donc, combinatoires : la première étape visant l’obtention de conclusions au moyen de la comparaison de ses composants de base ; la seconde, par l’établissement d’un système que Lulle appelait “mélange”, c’est-à-dire visant l’obtention de conclusions à travers la présence conjointe de Principes et de Règles.
Il faut encore ajouter que, si dans l’étape quaternaire certains composants étaient présentés comme actifs (Dieu, les puissances de l’âme, les éléments), lorsque Lulle développa l’étape ternaire de l’Art, ce dynamisme fut étendu à tous les niveaux de l’être. En même temps, il fut développé dans un système triadique dans lequel chaque principe se déploie dans un composant actif et dans un passif, tous deux unis par un lien verbal. Ainsi nous avons bonitas (= bonté) qui s’étend à bonificativus et à bonificabile connectés par bonificare ; magnitudo (= grandeur) se déployant dans magnificativus, dans magnificabile et dans magnificare, etc. Vu que, comme nous l’avons dit, cela était applicable à tous les êtres, Lulle développa ce que Robert Pring-Mill appela une “vision trinitaire du monde”.
Chaque version de l’Art est accompagnée d’‘œuvres satellites’ qui appliquent les principes généraux à une branche concrète du savoir. Une science conventionnelle reformulée ‘artistiquement’ devient ‘nouvelle’, de sorte que Lulle planifia une réforme personnelle pour la théologie, la philosophie, la logique, la médecine, l’astronomie, le droit, la géométrie et la rhétorique.
Lulle, cependant, rédigea aussi des livres pour un public laïque de formation variée : le Livre du gentil et des trois sages (1274-1276) enseigne à débattre avec les infidèles au moyen de ‘raisons nécessaires’ et non ‘par autorité’, comme le faisaient les dominicains ; la Doctrine puérile (1274-1276) est un livre de pédagogie (catéchisme, enseignement secondaire) ; le Livre de l’ordre de chevalerie (1274-1276) prétend éduquer religieusement les militaires. Certains livres rapprochent le lecteur de l’Art grâce à des exemples organisés en forme de roman : le Livre d’Evast et Blaquerne (avec le Livre de l’ami et de l’aimé) (1283) et le Félix ou Livre des merveilles (avec le Livre des bêtes) (1287-1289) ; d’autres ont recours à des procédés de lyrique : le Desconhort (1295), le Chant de Raymond (1300) ; d’autres encore, à ceux de la parémiologie (Proverbes de Raymond (1296), Livre des mille proverbes (1302)). Le recours aux procédés littéraires diminue après l’Arbre de science (1295-1296), une version encyclopédique de l’Art condensée dans un recueil très original d’exemples destinés à la prédication, l’Arbre des exemples.
Avec la Logica nova (1303) Lulle commença à adapter ses techniques démonstratives aux normes les plus admises à son époque : celles des Analytica priora et posteriora aristotéliciens, avec leurs syllogismes et théorie de la science correspondants. Dans ce qui constitue, explicitement, la dernière version de l’Art, l’Ars generalis ultima, Lulle montre comment la logique peut être incluse dans l’Art ; à partir du séjour suivant qu’il passa à Paris (1309-1311), les techniques logiques (avec des œuvres sur le fallacieux et autres techniques logiques) sont chaque fois davantage substituées par celles de l’Art.
A la même époque que ce développement, Lulle commença à écrire des sermons et des traités sur la compilation de sermons ; ceux-ci doivent être rigoureux et sans prétention littéraire : le Liber de praedicatione (1304), contenant 108 pièces prédicables, le Livre de vertus et de péchés (1313-1314), en incluant 182, et l’Art abrégé de prédication (1313). Certaines monographies lulliennes possèdent seulement un texte latin : le Liber de significatione (1304), une sémantique artistique ; le Liber de ascensu et descensu intellectus (1305), une présentation de la théorie de la connaissance, et le Liber de fine (1305), un traité sur la croisade.
Lulle exploita de manière propagandiste son moi littéraire en créant son propre personnage: un Raymond pénitent, pauvre, vieux et méprisé, qui est présenté comme le paradigme de l’homme qui a tout sacrifié pour la foi, qui est fou (‘fantastique’) aux yeux des conformistes et mécréants, mais sage aux yeux de Dieu.
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